La question de la gouvernance est aujourd’hui au cœur de toutes les actualités dans le monde. Les entreprises commerciales n’y échappent pas. La question se pose d’ailleurs avec acuité dans ce milieu. En effet, il est toujours reproché aux dirigeants sociaux de confondre le patrimoine de la société commerciale avec leur propre patrimoine et c’est dans ce sens que l’infraction d’abus de biens sociaux est au cœur de la gestion de la société commerciale. Aux termes de l’article 891 l’AUSC, « Encourent une sanction pénale le gérant de la société à responsabilité limitée, les administrateurs, le président directeur général, le directeur général, le directeur général adjoint, le président de la société par actions simplifiées, l’administrateur général ou l’administrateur général adjoint qui, de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, matérielles ou morales, ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils sont intéressés, directement ou indirectement ».

  1. Quels sont les éléments matériels de ce délit ?

A la lecture des dispositions de l’article 891 précité qui définit le délit d’abus de biens et du crédit de la société, on se rend compte que l’objectif du législateur OHADA est de saisir tout comportement répréhensible des dirigeants sociaux qui porteraient atteinte au patrimoine de la société. La compréhension des éléments matériels peut se faire à un double niveau : les actes d’usage et la mesure du caractère délictueux de l’acte et de sa contrariété à l’intérêt social.

L’élément matériel caractérisant cette infraction est principalement un acte positif du dirigeant social. A cet égard, tous les actes d’usage peuvent porter soit sur les biens, soit sur le crédit de la société, soit sur les pouvoirs. Ces actes nécessitent une action de la part du dirigeant social pour leur constitution. L’acte d’usage qui vise l’accomplissement d’un fait positif comprend toutes les utilisations dont un bien est susceptible, et varie suivant la nature du bien considéré, notamment les cas d’appropriation, de disposition, d’administration. Très souvent, l’acte de disposition le plus sanctionné consiste en des prélèvements faits par des dirigeants sociaux pour couvrir des dépenses personnelles. C’était le cas dans l’affaire jugée par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou dans laquelle il était reproché au dirigeant social d’avoir fait débloquer une somme d’argent dans le compte de la société pour un prétendu règlement de prêt personnel sans autorisation du conseil d’administration et d’avoir fait débloquer des sommes d’argent au moyen de plusieurs chèques sur les comptes de la société pour régler les honoraires d’avocats et huissiers de justice engagés par lui pour défendre ses intérêts dans les différents procès qui l’opposaient à d’autres actionnaires de la société (Tribunal de grande instance de Ouagadougou, Jugement n° 860 du 10 janvier 2000, Ministère public c/ YAMEOGO Jean Vivien Alfred ).

Mais pour rendre efficace le délit d’abus de biens sociaux et pour contourner toute attitude malicieuse des dirigeants sociaux, la jurisprudence s’accorde à admettre que l’acte peut aussi être une abstention. C’était le cas notamment dans une affaire dans laquelle le gérant s’était abstenu de réclamer à une S.A dont il est par ailleurs un administrateur, le paiement des livraisons faites à celle-ci (Cass. Crim. 15 mars 1972, Rev. des Sociétés 1973, p. 357).

L’efficacité est également renforcée lorsque le législateur exige que l’usage soit contraire à l’intérêt social. Ce dernier est donc l’élément de contrôle du caractère délictueux ou non de l’usage des biens de la société par le dirigeant social.

  1. Quels sont les éléments moraux pour la constitution du délit ?

Pour qu’une infraction soit constituée, l’élément matériel et l’élément moral doivent être réunis. L’élément moral désigne l’intention de l’agent de rechercher les conséquences de son acte. L’article 891 de l’AUSC, qui réprime l’abus de biens sociaux précise que le dirigeant doit avoir agi de mauvaise foi, et doit savoir que l’acte litigieux est contraire à l’intérêt social. L’abus de biens sociaux permet ainsi de dénicher les dirigeants malhonnêtes. Ainsi, cela signifie que le dirigeant qui est conscient du caractère délictueux doit être puni alors que celui qui ne le savait pas doit être exonéré. Par ailleurs, les juges doivent faire preuve de pragmatisme en écartant l’idée de mauvaise foi devant des situations évidentes. C’est le cas de la Cour d’appel du littoral qui a refusé de reconnaître la mauvaise foi du dirigeant ayant fait des biens de la société un usage qu’il savait contraire à celle-ci, au sens de l’article 891 de l’AUSC, le Président du conseil d’administration qui s’est fait octroyer des avantages sociaux ayant été mis en place par ses prédécesseurs, qui en avait largement profité à leur temps (C.A. du Littoral, arrêt n° 99/Crim. du 14 mai 2007).

Il ne suffit pas que le dirigeant social ait eu conscience de commettre l’infraction d’abus de biens sociaux, l’article 891 de l’AUSC exige également qu’il ait recherché un intérêt personnel. C’est dire que l’abus de biens sociaux est la traduction des intérêts égoïstes du dirigeant social. Par exemple et comme indiqué dans la jurisprudence précitée, l’intérêt personnel a été retenu par le Tribunal de grande instance de Ouagadougou contre un dirigeant qui avait fait débloquer une somme d’argent dans le compte de la société pour un prétendu règlement de prêt personnel sans autorisation du conseil d’administration ; ainsi que des sommes d’argent au moyen de plusieurs chèques sur les comptes de la société pour régler les honoraires d’avocats et huissiers de justice engagés par lui pour défendre ses intérêts dans les différents procès qui l’opposaient à d’autres actionnaires de la société.

  1. Quelles sanctions pour le dirigeant reconnu coupable d’abus de biens sociaux ?

Le dirigeant reconnu coupable d’infraction d’abus de biens sociaux risque des sanctions pénales et des sanctions civiles. En ce qui concerne les sanctions pénales, l’OHADA a laissé à chaque Etat membre la responsabilité de les déterminer. Au Cameroun, aux termes de l’article 9 de la Loi n°2003/008 du 10 juillet 2003 portant répression de certaines infractions contenues dans les Actes uniformes OHADA, le délit d’abus de biens sociaux est puni d’une peine de 01 an à 5 ans et d’une amende de 2.000.000 à 20.000.000 cfa. Au Sénégal, aux termes de l’article 6 de la Loi n°98-22 du 26 mars 1998, portant sur les sanctions applicables aux infractions contenues dans l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêts économiques, le délit d’abus de biens sociaux est puni d’une peine de 01 an à 5 ans de prison et une amende de 100.000 à 5.000.000 cfa. Le texte précise que les deux peines doivent être obligatoirement prononcées l’une et l’autre. En plus de ces peines principales, le juge peut appliquer des peines complémentaires et des mesures de sûreté. Ainsi, au-delà des sanctions qui viennent d’être relevées, le juge peut également prononcer à l’égard du dirigeant social coupable, la déchéance qui est une sanction visant à l’écarter de la gestion des sociétés commerciales. Il pourra aussi prononcer la publication de la décision dans le RCCM ou dans un journal d’annonces légales. Cette mesure vise à faire connaître au public la nature délinquante du dirigeant en question.

En ce qui concerne les sanctions civiles, aux termes de l’article 165 de l’Acte uniforme, « chaque dirigeant est individuellement responsable envers la société des fautes qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions ». Deux mécanismes sont prévus pour engager la responsabilité civile des dirigeants sociaux : il s’agit de l’action sociale et de l’action individuelle. L’action sociale est définie comme l’action en réparation du dommage subit par la société du fait de la faute commise par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leur fonction. Cette action est donc intentée dans l’intérêt de la société qui a subi les préjudices du délit d’abus de biens sociaux. Sa mise en œuvre peut être déclenchée par la société elle-même à travers ses dirigeants qui sont en fonction, exception faite du dirigeant qui est poursuivi pour abus de biens sociaux. En ce qui concerne l’action individuelle, elle est définie par l’article 162 de l’Acte uniforme. Selon ce texte, elle désigne l’action en réparation du préjudice subi par un tiers ou par un associé, lorsque celui-ci subit un dommage distinct du dommage que pourrait subir la société du fait de la faute commise individuellement ou collectivement par les dirigeants sociaux dans l’exercice de leurs fonctions.